ADRESSE DE MONSEIGNEUR JEAN PIERRE KUTWÃ, ARCHEVEQUE D’ABIDJAN A L’OCCASION DU MARDI SAINT

Excellences, Révérends pères, Révérends frères, révérendes sœurs, Chers frères et sœurs en Christ,

Nous nous retrouvons en ce soir du Mardi Saint, autour de l’autel du Seigneur, pour célébrer, par anticipation, la fête du sacerdoce. Ils sont tous là, devant vous, vos prêtres, avec lesquels, en cette année dédiée au sacerdoce, vous cheminez pour témoigner de Jésus-Christ, le Prêtre éternel.

Votre amour pour nous vous a poussé à venir très nombreux pour nous féliciter et nous soutenir en ce jour où nous fêtons notre consécration par l’onction qui a fait de nous les fidèles intendants du mystère du Christ. Soyez-en sincèrement remerciés. Permettez-moi maintenant, qu’en tant que responsable de la grande famille ecclésiale d’Abidjan, je présente aux prêtres mes souhaits de bonne, heureuse et Sainte année. Bonne fête à vous tous présents dans cette église Notre Dame du Perpétuel Secours, bonne fête à tous ceux qui ne sont pas physiquement présents parce que malades, bonne fête à tous ceux qui sont aux études ou exerçant leur ministère en dehors de l’Archidiocèse.

La célébration de cette messe chrismale aurait pu paraître ordinaire n’eut été le fait de l’actualité récente de l’Eglise universelle secouée depuis quelques moments, par les vieux scandales qui refont surface d’une part, et par le fait que cette année est dédiée au sacerdoce d’autre part. Des prêtres qui vont renouveler leurs engagements, en cette année sacerdotale, telle est toute la particularité de cette célébration qui vous est si habituelle maintenant.

Frères et sœurs,

Depuis plusieurs semaines et de manière intense, l’Eglise catholique fait face au scandale douloureux des abus sexuels qui seraient commis par des prêtres dans différents pays. Chaque jour, à travers les journaux, la télévision, la radio, le mal est raconté, répété, amplifié à souhait comme pour nous habituer aux choses les plus horribles. Ce sont des nouvelles tragiques, qui nous attristent profondément, en tant que membres de l'Eglise, et particulièrement, en cette année dédiée au sacerdoce.

Comment comprendre alors l’objectif de ces campagnes, qui, vous vous en douter, veulent éclabousser l’Eglise et ainsi, mettre à mal son organisation. Devrions-nous permettre que ces scandales viennent entacher le témoignage de centaines de milliers de prêtres, de religieux et religieuses qui, dans leur immense majorité, donnent leur vie de manière admirable, jour après jour, pour Dieu et pour leurs frères, dans les paroisses, les missions, les écoles, les hôpitaux, etc.

Au cœur de cette malheureuse campagne de dénigrement, il existe heureusement des hommes et des femmes de tout âge, qui ont compris qu'il ne sert à rien de condamner, de se plaindre, de récriminer, mais qu’il est plus utile de répondre au mal par le bien, car à la vérité, cela change les choses, mieux, cela change les personnes et, par conséquent, rend la société meilleure.

Avez-vous remarqué qu’il y a dans nos vies, qu’il y a dans la vie de l’Eglise des ‘‘heures des ténèbres’’ où tout semble perdu ? Pour comprendre que l’amour de Dieu est toujours triomphant, écoutons la parole que Jésus a prononcée au moment où Judas s’enfonçait dans la nuit : ‘‘Maintenant, le Fils de l’homme a été glorifié, et Dieu est glorifié en lui’’.

Le Père a surtout été glorifié quand Jésus, avec amour, dans une dernière tentative pour le ramener, a dit à Judas : ‘‘mon ami’’, lui montrant par là que l’espérance divine triomphait en celui qu’il était en train de trahir ; une espérance plus forte que l’angoisse, plus forte que tout mal.

En fait, Jésus avait choisit Judas comme Apôtre, parce qu’il connaissait ses possibilités, parce qu’il l’aimait ! Il l’avait formé pendant trois années au même titre que les autres apôtres, il lui avait même confié la trésorerie du groupe des douze, signe d’une évidente confiance, si ce n’est, d’un ardent désir de voir l’autre grandir en sa présence.

Frères et sœurs en Christ,

Au moment où vos prêtres vont renouveler au cours de cette célébration eucharistique les engagements qu’ils ont librement contractés le jour de leur ordination sacerdotale, je voudrais encore une fois vous faire cette adresse. S’il est vrai que le prêtre a reçu du Christ une invitation spécifique et personnelle, un appel à le suivre de plus près, et à s'identifier sacramentellement et de façon vitale à lui, pour collaborer à l'œuvre de la Rédemption, il est tout aussi vrai qu’il ne réussira sa vocation dans le monde et dans l’église, que s’il est aimé et soutenu.

En cette année sacerdotale, il me plaît de vous redire la place et le rôle prépondérant que vous êtes appelés à prendre et à jouer avec eux et auprès d’eux. Je me permets d’insister pour vous redire qu’une amitié sincère de votre part ne consistera pas seulement dans les invitations, les repas et l'argent.

En tant que membres éminents de l'Eglise du Christ, vous devez vous engager avec vos prêtres comme de vrais gardiens de la Sainteté de Dieu. Pour ce faire, vous devez les aider en toutes circonstances, et dans les dérives, vous montrer vraiment des frères compatissants et charitables. J’insiste encore pour dire que vous devez savoir qu'il y a une manière de conduire les affaires de l'Eglise, différente de celle du monde.

En agissant ainsi, vous donnerez le meilleur témoignage que le monde attend de vous. Vous le savez bien, notre monde actuel est si exigeant qu’il ne saurait se satisfaire de prêtres et de chrétiens caméléons. Est-il besoin de dire que si ce monde croit encore aux maîtres, c’est certainement parce qu’ils se sont révélés en fin de compte de vrais témoins. Oui, avec vos prêtres, prenez résolument le pari de faire de cette année, une année vraiment remplie de Jésus, à tous égards.

Révérends Pères, chers confrères dans le sacerdoce,

Au regard de ces scandales et autres nouvelles troublantes sur l’Eglise et son clergé, ne serait-il pas bon, que nous prêtres de l’Archidiocèse d’Abidjan, nous nous arrêtions pour méditer sur notre vocation et notre mission à la suite du Christ, le Prêtre éternel ?

La première lecture de ce jour pose la question de l’identité du serviteur dont la mission de salut est universelle. Dans cette lecture, le serviteur de Dieu dit lui-même ce qu’il croit de sa personne et de sa mission : ‘‘J’étais encore dans le sein maternel quand le Seigneur m’a appelé; j’étais encore dans les entrailles de ma mère quand il a prononcé mon nom. Il a fait de ma bouche une épée tranchante, il m’a protégé par l’ombre de sa main; il a fait de moi sa flèche préférée, il m’a serré dans son carquois. Il m’a dit: «Tu es mon serviteur…, en toi je me glorifierai.» «Tu es mon serviteur…, en toi je me glorifierai.»

Chers confrères dans le sacerdoce,

Les conseils évangéliques que nous professons le jour de notre ordination sont, dans leur multiplicité, proposés à tout disciple du Christ. La perfection de la charité à laquelle tous les fidèles sont appelés, comporte pour ceux qui assument librement l’appel à la vie consacrée, comme vous et moi, l’obligation de pratiquer la chasteté dans le célibat pour le royaume, la pauvreté et l’obéissance.

Dites-moi chers confrères dans le sacerdoce, où en sommes-nous, particulièrement en cette année dédiée au sacerdoce, des promesses de pauvreté, d’obéissance et de chasteté dans le célibat ? Croyons-nous encore en ces promesses ?

Hier, en acceptant cette vocation et en recevant le sacrement de l'ordre, nous nous sommes engagés de façon définitive et irréversible, avec Dieu, avec l'Eglise et avec les hommes, à donner toute notre vie en nous identifiant au Christ pour exercer ce ministère sacerdotal. L’exercice de ce ministère commande et exige que nous n’entretenions pas de liaisons douteuses. Il exige donc de nous des ruptures sans lesquelles nous risquions de nous discréditer.

Ainsi donc, s’engager à la suite du Christ obéissant, implique pour chaque prêtre qu’il ne peut exercer son ministère qu’en étant soumis à l’évêque et qu’en étant en communion avec lui. La promesse d’obéissance que nous faisons au moment de l’ordination et du baiser de paix à la fin de la liturgie de l’ordination, signifient que l’évêque considère ses prêtres comme ses collaborateurs, ses fils, ses frères et amis. En retour, ses prêtres lui doivent amour et obéissance. Cette obéissance les engage à remettre leur volonté entre les mains du Christ représenté par l’évêque. Ainsi, ils ne s’appartiennent plus, mais ils appartiennent au Christ, qui par l’évêque les envoie partout où le besoin des âmes les appelle.

Il est souvent dommageable que certains prêtres se sentent brimés et refusent une affection pour en souhaiter une autre. Chers Pères, vous qui connaissez bien les limites de notre archidiocèse, dites-moi, les chrétiens des zones rurales ont-ils besoin d’entendre la parole de Dieu ? Devons-nous les laisser à l’abandon ?

Quant à la pauvreté, vous conviendrez avec moi que de plus en plus de fidèles se plaignent de certains parmi nous à cause de leur train de vie qui choque. S’il est vrai qu’il faut faire la différence entre la pauvreté et la misère, il est tout aussi vrai que tout dépend de l’usage que nous faisons des biens matériels. Oui, l’époque des prêtres allant de village en village à pied, à vélo ou en babi-brousse est certes révolue. Mais, ne serait-ce pas un signe de sagesse que de se poser des questions quant tout le monde vous montre du doigt et du regard accusateur ? Quelle est aujourd’hui, notre distance face aux biens matériels ? Sont-ils encore un moyen pour nous ou la fin ?

Qu’est ce qu’on n’entend pas dire aujourd’hui sur la chasteté dans le célibat ? Ce terrain qui devait être le nôtre semble être mieux parcouru par des chrétiens, hommes et femmes dont la vie nous interpelle chaque jour. La chasteté dans le célibat signifie l’intégration réussie de la sexualité dans la personne et par là, l’unité intérieure de l’homme dans son être corporel et spirituel. La personne chaste est donc celle qui maintient l’intégrité des forces de vie et d’amour déposées en elle. Cette intégrité assure l’unité de la personne et s’oppose à tout comportement qui la blesserait. Enfin, elle ne tolère ni la double vie, ni le double langage. Le Christ nous avertit : celui met la main à la charrue et regarde en arrière n’est pas digne de lui. Sommes-nous encore dignes du Christ ?

Révérends Pères, chers frères et sœurs en Christ,

Les défis qui nous attendent et auxquels est confrontée notre Eglise sont multiples et variés. C’est ensemble, main dans la main, que nous réussirons à faire de l’Eglise qui est à Abidjan, une église selon le cœur de Dieu. Cela passe par des pasteurs davantage soucieux de porter le Christ à leurs frères et sœurs et soucieux du témoignage qu’ils doivent donner eux-mêmes. Cela passe également, en cette année sacerdotale, par des chrétiens qui aiment leur église et qui sont habités par le souci constant de faire marche avec leurs pasteurs, pour témoigner de Jésus-Christ, le prêtre éternel, aujourd’hui, demain, et dans les siècles des siècles, AMEN !

+Jean Pierre KUTWÃ

Archevêque d’Abidjan

 

Paroisse Notre Dame du Perpétuel Secours de Treichville

Mardi 30 Mars 2010

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