MESSAGE DE MONSEIGNEUR JEAN PIERRE KUTWÃ ARCHEVÊQUE D’ABIDJAN A L’OCCASION DE LA MESSE CHRISMALE Cathédrale Saint Paul du Plateau Abidjan Mardi 3 Avril 2012


‘‘Ah qu’il est bon, qu’il est agréable pour des frères d’être ensemble !... Car c’est là, … que le Seigneur donne sa bénédiction, la vie, pour toujours.’’ Ps. 133, 1.3
Éminence,
Excellences,
Chers confrères dans le sacerdoce,
Chers frères et sœurs,


Ce sont ces paroles du psalmiste qui me viennent à l’esprit, à la vue de la foule immense des fidèles que vous êtes, venus soutenir leurs prêtres, en ce jour de la rénovation de leurs promesses sacerdotales. Comme un seul homme, vous êtes venus nombreux entourer de votre affection et de votre attention, mais aussi de vos prières, les pasteurs que Dieu Lui-même met à votre disposition, pour votre marche à la suite du Christ. Et cette image est belle !

Par votre présence massive, vous nous redites avec force, que vous soutenez vos pasteurs et qu’ainsi, avec le soutien et la grâce de Dieu, nous ferons des prouesses ensemble. ‘‘ Un pour tous, tous pour un, ensemble pour Dieu’’, voici le message que votre présence autour de vos pasteurs envoient à nos concitoyens. Oui vraiment, il est bon, il est agréable pour des frères d’être ensemble !


Ce jour également verra la consécration du saint-chrême et la bénédiction de l’huile des malades ainsi que celle des catéchumènes. Que le Seigneur accorde à tous ceux qui seront marqués de ces huiles en cette année, une vie chrétienne davantage centrée sur le Christ, Prince de la paix, unique Médiateur entre Dieu et les hommes, et leur fasse la grâce en retour, d’être des artisans de paix !


Excellences,
Frères et sœurs,
Depuis deux années pastorales, notre famille diocésaine d’Abidjan vit au rythme du même thème pastoral : ‘‘Approfondissons notre foi catholique face aux exigences de notre baptême’’. Les raisons de la reconduction de ce thème pour la deuxième année consécutive, résident dans le fait que de manière générale, la crise que nous avons connue, a révélé, et il faut avoir le courage de le dire, que les catholiques ont agis comme tous les autres. Ils ont failli à leur devoir de témoins de la foi et de la charité chrétienne. Ils n’ont pas été sel et lumière. En nous, l’homme déchu, l’homme ancien a prévalu, alors que nous sommes par le baptême des êtres spirituels.


Nous avons encore une fois laissé notre nature humaine, créée pourtant à l’image de Dieu, au pouvoir des effets néfastes du mal et ce, au détriment de la grâce baptismale reçue, au détriment du salut accordé dans le sang versé pour la nouvelle Alliance conclue par le Christ sur la croix.


S’il est vrai que notre état de chrétiens exigeait plutôt de nous que nous construisions chaque jour un peu plus notre ressemblance à Dieu en Jésus Christ, dans le témoignage héroïque de notre foi et de la charité chrétienne, il nous faut reconnaître que nous avons baissé les bras, alors que les exigences de notre baptême, nous commandaient d’agir autrement.


Le baptême que nous avons reçu nous invitait et continue de nous inviter à tout mettre en œuvre pour que la parole de Dieu éclaire et guide nos vies. Trop de mensonges nous ont été servi et nous-mêmes avons servis trop de mensonges. Aujourd’hui, il nous faut nous interroger sereinement : est-ce bien cette parole de Dieu qui oriente nos vies et qui renouvelle les regards et les jugements que nous portons sur les événements, les êtres et les choses ? N’y aurait-il plus rien à faire ?


1- Nous sommes appelés désormais à vivre la réconciliation entre les personnes et les communautés et promouvoir pour tous la paix et la justice dans la vérité.
En le disant, je voudrais saisir l’occasion de cette messe chrismale, pour revisiter avec vous l’Exhortation Apostolique Post-Synodale ‘‘Africae Munus’’, dans laquelle le Pape Benoît XVI redit la nécessité de l’engagement de l’Afrique sur les chemins de la Réconciliation, de la Justice et de la Paix.


En effet, comme dit le Pape, il nous faut reconnaître que l’une des exigences de notre baptême, c’est la réconciliation. Non pas une réconciliation voulue et dictée par les politiques. C’est qu’il nous faut prendre conscience que dans cette démarche, c’est Dieu Lui-même qui nous y invite, tous autant que nous sommes, là où l’appel de Dieu nous a placé. ‘‘L’engagement de l’Afrique pour le Seigneur Jésus-Christ est un trésor précieux que je confie, [nous dit le Pape] en ce début du troisième millénaire, aux évêques, aux prêtres, aux diacres permanents, aux personnes consacrées, aux catéchistes et aux laïcs de ce cher continent et des îles voisines. Cette mission porte l’Afrique à approfondir la vocation chrétienne. Elle l’invite à vivre au nom de Jésus, la réconciliation entre les personnes et les communautés et à promouvoir pour tous la paix et la justice dans la vérité.’’ 1


Aller à la réconciliation est aujourd’hui une question qui est plus que d’actualité en ce sens que comme dit le Saint Père, ‘‘la mémoire de l’Afrique garde le souvenir douloureux des cicatrices laissées par les luttes fratricides entre les ethnies, par l’esclavage et par la colonisation. Aujourd’hui encore, le continent est confronté à des rivalités, à des formes d’esclavages et de colonisation nouvelles. La première Assemblée Spéciale l’avait comparée à la victime des bandits, laissée moribonde au bord du chemin (Cf. Lc. 10, 25-37).’’ 9
Le Pape poursuit en disant que ‘‘pour se tenir debout avec dignité, l’Afrique a besoin d’entendre la voix du Christ qui proclame aujourd’hui l’amour de l’autre, même de l’ennemi, jusqu’au don de sa propre vie, et qui prie aujourd’hui pour l’unité et la communion de tous les hommes en Dieu (Cf. Jn.17, 20-21). 13


Pour le Pape, ‘‘le visage de l’évangélisation prend aujourd’hui le nom de réconciliation, ‘‘condition indispensable pour instaurer en Afrique des rapports de justice entre les hommes et pour construire une paix équitable et durable dans le respect de chaque individu et de tous les peuples ; une paix qui […] s’ouvre à l’apport de toutes les personnes de bonnes volonté au-delà des appartenances religieuses, ethniques, linguistiques, culturelles et sociales respectives’’ 174
Chers frères et sœurs, les acteurs de cette nouvelle évangélisation ne sont autres que les prêtres, les familles, les hommes et les femmes. A l’endroit de tous, le Pape à une adresse.
2- Adresse aux prêtres
‘‘Chers prêtres, souvenez-vous que votre témoignage de vie pacifique, par-delà les frontières tribales et raciales, peut toucher les cœurs. L’appel à la sainteté nous invite à devenir des pasteurs selon le cœur de Dieu, qui font paître le troupeau avec justice (cf. Ez. 34, 16). Céder à la tentation de vous transformer en guides politiques ou en agents sociaux, serait trahir votre mission sacerdotale et desservir la société qui attend de vous des paroles et des gestes prophétiques’’ 108
Chers confrères dans le sacerdoce,


L’adresse du Pape à notre endroit doit nous faire prendre davantage conscience de la spécificité de notre vocation. Je ne le dirai jamais assez : nos communautés paroissiales sont le lieu où chacun de nos fidèles devrait pouvoir trouver quiétude et réconfort quand il en a besoin. Malheureusement, il nous est arrivé de constater que certains parmi nous n’ont pas toujours été une oreille attentive pour leurs ouailles.


Le Pape attire notre attention : ‘‘en vous consacrant surtout à ceux que le Seigneur vous confie pour les former aux vertus chrétiennes, et les conduire à la sainteté, non seulement vous les gagnerez à la cause du Christ, mais vous en ferez aussi les protagonistes d’une société africaine renouvelée. Face à la complexité des situations auxquelles vous êtes confrontés, je vous invite à approfondir votre vie de prière et votre formation continue ; que celle-ci soit à la fois spirituelle et intellectuelle. Devenez des familiers des Saintes Ecritures, de la Parole de Dieu que vous méditez chaque jour et que vous expliquez aux fidèles.’’ 109


Chers confrères dans le sacerdoce,
Nul n’ignore que ‘‘suivre le Christ sur le chemin du sacerdoce demande à faire des choix. Ils ne sont pas toujours faciles à vivre. Les exigences évangéliques, codifiées au cours des siècles par l’enseignement du Magistère, paraissent radicales aux yeux du monde. Il est difficile parfois de les suivre, mais cela n’est pas impossible. Le Christ nous apprend qu’il n’est pas possible de suivre deux maîtres (Cf. Mt.6, 24). Il fait certes référence à l’argent, ce trésor temporel qui peut occuper notre cœur (Cf. Lc.12, 34), mais il fait également référence aux innombrables autres biens que nous possédons : notre vie, notre famille, notre éducation, nos relations personnelles par exemple. Il s’agit là de biens précieux et admirables qui sont constitutifs de nos personnes. Mais, le Christ demande à celui qu’il appelle, de s’abandonner totalement à la providence. Il demande un choix absolu (Cf. Mt.7, 13-14) qu’il nous est parfois difficile de comprendre et vivre. Mais, si Dieu est notre trésor véritable…alors nous désirerons que notre cœur et notre corps, que notre esprit et notre intelligence soient pour Lui seul’’. 112


Avec le Pape, je vous invite à vivre ‘‘avec simplicité, humilité et amour filial, votre obéissance à l’Evêque de votre diocèse. ‘‘Par respect pour celui qui nous a aimés, il convient d’obéir sans aucune hypocrisie ; car ce n’est pas cet Evêque visible que l’on abuse, mais c’est l’Evêque invisible que l’on cherche à tromper. Car, dans ce cas, ce n’est pas de chair dont il s’agit, mais de Dieu qui connaît les choses cachées’’ 110


Je voudrais me faire insistant une fois encore en citant le Pape : ‘‘édifier vos communautés chrétiennes par votre exemple en vivant dans la vérité et la joie vos engagements sacerdotaux. Investissez-vous intensément dans la mise en œuvre de la pastorale diocésaine pour la réconciliation, la justice et la paix, notamment par la célébration des sacrements de la Pénitence et de l’Eucharistie, la catéchèse, la formation des laïcs et l’accompagnement des responsables de la société.’’ 111


A ce sujet, dans les prochains mois, les Curés Doyens sont invités à venir retirer auprès des Vicaires Généraux, le programme diocésain pour la réconciliation que nous proposons, afin que les prêtres eux-mêmes puissent s’en imprégner et que nous puissions le mettre en œuvre, pour une pastorale d’ensemble.


3- Adresse aux familles.
Le Pape commence par dire que ‘‘la famille est bien le lieu propice pour l’apprentissage et la pratique de la culture du pardon, de la paix et de la réconciliation. En raison de son importance capitale et des menaces qui pèsent sur cette institution, […] la famille a besoin d’être protégé et défendue, pour qu’elle rende à la société le service qu’elle attend d’elle, c’est-à-dire lui donner des hommes et des femmes capables d’édifier un tissu social de paix et d’amour.’’ 43


Que nous est-il donner de constater ? Ici en Côte d’Ivoire, les familles vivent de véritables tragédies. Certains parents, trop soucieux de la réussite scolaire de leurs enfants, ont fini par laisser leur éducation entre les mains de l’école, une école qui elle-même se cherche ! De plus en plus, les valeurs cèdent le pas aux contre valeurs. Aujourd’hui, combien de familles se retrouvent-elles vraiment autour de la personne du Christ et de sa parole ? Quel héritage laissez-vous à vos enfants ?


C’est pourquoi le Saint Père ‘‘encourage vivement les familles à puiser inspiration et force dans le sacrement de l’Eucharistie, afin de vivre la nouveauté radicale apportée par le Christ au cœur des conditions communes de l’existence amenant chacun à être un témoin rayonnant dans son milieu de travail et dans la société toute entière.’’ 44
‘‘De plus ‘‘la mission éducative de la famille chrétienne est un vrai ministère grâce auquel l’évangile est transmis et diffusé, à tel point que la vie familiale dans son ensemble devient chemin de foi et en quelque sorte initiation chrétienne ou école de vie à la suite du Christ’’ 46


4- Adresse aux hommes
‘‘Avec les pères du Synode, j’encourage les hommes catholiques à contribuer vraiment dans leur famille à l’éducation humaine et chrétienne des enfants, à l’accueil et à la protection de la vie dès le moment de sa conception. Je les invite à instaurer un style chrétien de vie, enraciné et fondé dans l’amour (Cf. Ep.3, 17). N’ayez pas peur de rendre visible et tangible qu’il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime (Cf. Jn. 15, 13), c’est-à-dire en premier lieu sa femme et ses enfants. Cultivez une joie sereine dans votre foyer !’’ 52 car ‘‘en manifestant et en vivant sur terre la paternité même de Dieu (Cf. Ep. 3, 15), vous êtes appelés à garantir le développement personnel de tous les membres de la famille, berceau et moyen le plus efficace pour humaniser la société, le lieu de rencontre de plusieurs générations’’ 53


‘‘La qualité et le rayonnement de votre vie chrétienne dépendent d’une vie de prière profonde, nourrie de la parole de Dieu et des sacrements. Soyez donc vigilants à maintenir vivante cette dimension essentielle de votre engagement chrétien’’. 54 Vous deviendrez ainsi, des modèles que les jeunes pourront imiter.


5- Adresse aux femmes
‘‘Chères filles de l’Eglise, mettez-vous constamment à l’école du Christ comme Marie de Béthanie pour savoir reconnaître sa parole (Cf. Lc.10, 30). Formez-vous au catéchisme et à la doctrine sociale de l’Eglise pour vous doter des principes qui vous aideront à agir en véritables disciples. Ainsi, vous pourrez vous engager avec discernement dans les différents projets relatifs aux femmes. Continuez de défendre la vie car Dieu vous a constituées réceptacle de la vie. L’Eglise sera toujours votre soutien.


Aidez par vos conseils et votre exemple les jeunes filles afin qu’elles abordent sereinement la vie adulte. Soutenez-vous mutuellement ! Vénérez les plus âgées d’entre vous. L’Eglise compte sur vous pour créer une ‘‘écologie humaine’’ par l’amour et la tendresse, l’accueil et la délicatesse, et enfin la miséricorde, valeurs que vous avez inculquées aux enfants et dont le monde a tant besoin. Ainsi, par la richesse de vos dons, proprement féminins, vous favoriserez la réconciliation des hommes et des communautés’’ 59


Je ne saurais terminer ce partage sans vous inviter à lire ou à relire cette Exhortation Apostolique du Pape Benoît XVI, je souhaite vivement que tous nous prenions conscience que personne n’est parfait et que la vie en société est faite de heurts et d’affrontements. Si l’on aime vraiment, on est prêts à supporter les heurts de la vie quotidienne et à ne pas les transformer en tragédies. En effet, si chacun s’estime lésé, frustré de ses droits et n’accepte pas de pardonner, la paix ne sera jamais possible.


Que ces paroles du Saint Père nous habitent toujours : ‘‘la nouvelle évangélisation concerne, en particulier, le service de l’Eglise en vue de la réconciliation, de la justice et de la paix. Par conséquent, il est nécessaire d’accueillir la grâce de l’Esprit Saint qui nous invite : ‘‘Laissez-vous réconcilier avec Dieu’’ (2Co.5, 20). Alors, vous serez en mesure de devenir des artisans de la réconciliation au sein des communautés ecclésiales et sociales dans lesquelles vous vivez et œuvrez ! ’’ 169
Bonne fête à tous !
Et bonne montée vers Pâques !

+ Jean Pierre KUTWÃ
Archevêque d’Abidjan

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