ADRESSE DE MONSEIGNEUR JEAN PIERRE KUTWÃ ARCHEVEQUE D’ABIDJAN A L’OCCASION DE LA RENCONTRE DIOCESAINE AVEC LES JEUNES DE L’ARCHIDIOCESE D’ABIDJAN

Paroisse Notre Dame de l’Incarnation de la Riviera Palmeraie Lundi 13 Juin 2011

Révérends Pères,

Chers Pères aumôniers,

Révérendes sœurs,

Chers parents venus soutenir ces jeunes,

Frères et sœurs,

Chers amis jeunes,

L’année dernière, j’avais décrété que désormais, non seulement la rencontre de l’Archevêque d’Abidjan que je suis avec les jeunes de son diocèse, le lundi de Pentecôte, deviendrait une activité diocésaine, mais qu’elle serait pour moi, votre premier pasteur et votre père, l’occasion de vous envoyer en mission au nom de l’Eglise de Dieu qui est Abidjan. Cette rencontre de ce jour s’ouvre dans un contexte particulier, marqué par la sortie de la crise que nous avons traversé et qui a vu beaucoup de nos amis, de nos frères, parmi lesquels des jeunes, s’en aller vers la maison du Père, alors que notre pays comptait sur eux pour sa reconstruction.

Pour ces jeunes et pour tous ceux qui ont perdu la vie durant cette crise postélectorale, notre prière monte vers le Seigneur, pour implorer sa miséricorde, afin qu’ils reposent tous en paix. Notre pensée va également à l’endroit des blessés de tous genres. Que l’Esprit Saint, notre Divin Consolateur les assiste et les soutienne. Cependant, peut-on oublier et passer sous silence, le rôle que vous les jeunes avez eu dans cette crise ? Le Père de famille que je suis, n’a pas cessé de s’interroger sur l’attitude qui a été la vôtre tout au long de ces moments difficiles que nous avons connus. C’est pourquoi, je voudrais saisir l’occasion de cette rencontre, pour me rappeler avec vous, la mission que je vous avais confiée l’an dernier. Ce faisant, je voudrais que nous puissions faire ensemble le bilan de cette mission pour enfin nous projeter vers l’avenir.

1- Rappel de la mission

Amis jeunes,

L’an dernier, je vous confiais la mission de la Paix, en insistant pour que vous soyez missionnaires de la Paix, ambassadeurs de la Paix pour notre beau pays. Vous vous en souvenez encore certainement. En le faisant, je comptais à la fois sur votre jeunesse, sur votre dynamisme et sur votre générosité dans le travail et les efforts à accomplir. Je m’étais fait même un point d’honneur à insister pour dire que de même que le Christ n’a pas désespéré de notre humanité, de même, moi non plus, je ne désespérais pas de vous. En effet, j’avais partagé avec vous mon sentiment que plus les jours passaient, plus la paix s’éloignait de nous de plus en plus. C’est que chaque fois que l’on avait l’impression de toucher au but, une action, une parole, un événement venait tout remettre en cause et nous éloigner un peu plus de notre objectif majeur, le retour définitif de la paix.

C’est ainsi que je vous avais envoyé annoncer avec la vigueur qui vous caractérise, à toute la Côte d’Ivoire, dans vos mouvements, groupes, associations, à l’école, à l’université, dans les divers milieux où le Christ vous a placés, que la paix n’est pas un équilibre superficiel entre des intérêts matériels divergents. Je vous suppliais d’annoncez à vos aînés, que la paix n’est pas non plus à confondre avec la faiblesse, avec la renonciation au droit et à la justice équitable, avec la fuite du risque et du sacrifice, avec la résignation craintive et soumise à la domination d’autrui, dans l’acceptation de son propre esclavage ; que cette façon de faire, ne peut pas être la paix authentique. Je vous avais exhorté à crier partout que la répression n’est pas la paix de même que l’ordre purement extérieur et inspiré par la peur.

Vous rappelez-vous quand je vous priais d’annoncer que si la paix nous échappe trop souvent, c’est parce que nous n’avons pas le courage d’en prendre le chemin, celui tracé par Dieu, inauguré par le Christ et rendu possible par la puissance de l’Esprit Saint et que pour y parvenir, il nous fallait aimer, car l’amour est la seule ceinture qui resserre dans l’unité les personnes appelées à vivre en société, personnes qui seraient menacées de se diviser et de s’opposer, si un amour vivant, actif, ne venait sans cesse les rassembler dans une profonde unité. En vous envoyant annoncer la paix, je vous demandais de garder à l’esprit que l’amour et la paix vont de paire et que dans toutes vos actions, si l’amour est vainqueur, ce serait la paix. Non pas une paix fragile, non pas une simple absence de conflit, mais la victoire sur notre égoïsme et sur notre amour propre. Cela passait par le chemin du pardon, car personne n’est parfait et que la vie en société est faite de heurts et d’affrontements.

J’avais insisté pour vous dire que les défis qui sont les vôtres et auxquels vous alliez faire face au cour de cette mission que je vous confiais, sont trop importants pour que vous y alliez déjà handicapés par votre propre faute. En effet, certains parmi vous, nous donnait l’impression de ne pas savoir lire les signes des temps alors qu’il vous appartenait de voir les malaises de notre pays, mais aussi, les opportunités qui s’offraient à vous. C’est ainsi que je vous avais invité à beaucoup de vigilance et à plus de maturité dans vos engagements politiques et idéologiques, parce que dans une dizaine, voire, une vingtaine d’années, c’est à vous qu’il reviendrait de construire notre pays en évitant les comportements et autres attitudes qui font que n’avez plus de crédit vis-à-vis de vos interlocuteurs. En terminant, je vous avais posé une série de questions que je me fais fort de vous poser à nouveau : si la Côte d’Ivoire de demain sera à l’image de ce que vous aurez décidé qu’elle soit, quelle est cette Côte d’Ivoire que vous voulez ? Une Côte d’Ivoire qui n’a pas de repères ? Une Côte d’Ivoire où la corruption est la valeur la mieux partagée ? Une Côte d’Ivoire à l’agonie parce que vous, vous n’aurez pas su prendre vos responsabilités à tant ? Alors, quel bilan pouvons-nous faire aujourd’hui de cette mission ?

2- Bilan de la mission

Chers amis jeunes,

Avez-vous été, conformément à la feuille de route que je vous ai donnée l’an dernier, missionnaires de la Paix, ambassadeurs de la Paix pour notre pays ? Quels ont été vos actions, dans vos mouvements, groupes, associations, à l’école, à l’université, dans les divers milieux de vie et d’action où le Christ vous a placés ? Qu’avez-vous fait de votre baptême tout au long de cette crise que nous avons connu ? Vous savez certainement que dans la vie de tout homme, il ya des choix fondamentaux à faire à un moment ou à un autre de notre existence. Cependant, parmi ces choix fondamentaux, il ya des priorités. La grande question que j’ai envie de vous poser est celle de savoir, quelles ont été les vôtres ces derniers temps?

Vous le savez mieux que quiconque : ailleurs, sur le continent tout comme à l’extérieur, certains jeunes ivoiriens se forment et attendent de venir occuper les places que vous ne saurez leur disputer plus tard parce que vous n’aurez pas su saisir votre chance aujourd’hui. N’avez-vous pas le sentiment de ne plus être crédibles vis-à-vis de vos interlocuteurs, ceux d’ici de même que ceux d’ailleurs? Combien parmi vous ont su dire non à la violence, à la haine, aux tueries ? Pensez-vous avoir mis du sérieux dans vos vies ces derniers temps ? Si nous voulons être objectifs, il nous faut reconnaître que le bilan de votre mission est très mitigé, pour ne pas dire simplement négatif. Ne vous trompez pas : le monde qui parle de globalisation et de mondialisation vit en fait en cercle fermé. Il faut pour s’y introduire, présenter des lettres de créances. Si vous y allez la tête et les mains vides, vous vous contenterez des miettes qui tombent de la table des convives cooptés. Ce monde dans lequel nous vivons et qui est devenu un village planétaire, ne vous fera plus de cadeau. C’est par le sérieux de votre vie que vous serez respectés. Alors, quelles perspectives d’avenir pour vous jeunes catholiques ?

3- Perspectives d’avenir 

Amis jeunes,

C’est trop souvent que nos pays africains ont été assimilés à ce blessé de l’évangile, couché sur le bord du chemin et qui attend un hypothétique Bon Samaritain. Notre pays la Côte d’Ivoire ne déroge pas à cette vision pessimiste que certains ont de l’Afrique. Dans la perspective de la reconstruction de notre pays, allons-nous continuer à tendre la main, à attendre des bons Samaritains venus d’autres cieux ? N’est-il pas possible de trouver en notre sein, de jeunes ivoiriens, des chrétiens catholiques convaincus de leur foi et dont l’action est guidée par les valeurs évangéliques, capables de prendre la relève de leurs aînés, pour faire entendre la voix de l’Afrique, de notre pays, non pas celle d’une Afrique qui mendie, mais d’une Afrique qui parle d’égal à égal avec les autres continents de la terre ?

On ne le dira jamais assez, chers amis jeunes, vous constituez une force et vos différentes mobilisations positives à certains moments décisifs de notre histoire, en sont la preuve. La discipline étant la clé de voûte de toute réussite, vous veillerez à être des jeunes disciplinés et qui enseignent aux autres la discipline. Evitez de vous transformer, comme vous nous l’avez montré des fois, en syndicalistes intransigeants et intraitables, fermés au dialogue et au compromis. Prenez conscience qu’ailleurs, sous d’autres cieux, des jeunes ivoiriens se forment et s’apprêtent à rentrer au pays. Serez-vous à leur hauteur ? Retenez que vous devez être les moteurs de votre propre développement. Cela passe par le travail assidu et bien fait et le refus de la facilité dans laquelle certains d’entre vous se sont inscrits. Refusez alors systématiquement les actions qui ne construisent pas en cultivant le goût de l’effort.

Aussi, je décide pour cette année, de vous reconduire dans votre mission d’ambassadeurs de la Paix ! Tous, avec vos aumôniers, je vous exhorte à réfléchir en paroisses, en doyennés, en vicariats épiscopaux pour me faire des propositions concrètes d’actions que vous allez mener tout au long de la nouvelle année pastorale, dans vos mouvements, groupes, associations, à l’école, à l’université, dans les divers milieux où le Christ vous a placés. Ces propositions qui devront tenir compte du thème de notre année pastorale, ‘‘approfondissons notre foi catholique face aux exigences de notre baptême’’, je les attends à mon secrétariat, pour la fin du mois de juillet 2011 afin qu’elles soient prises en compte dans la pastorale diocésaine pour la rentrée pastorale prochaine.

En terminant, et tout comme l’année dernière, je vous redis toute ma détermination à marcher à vos côtés. Dans cette mission, je demeure avec vous et vous pouvez compter sur moi. Amis jeunes, votre devise sera désormais ‘‘Tous pour chacun, chacun pour tous, ensemble pour Dieu’’. 

Je vous bénis tous et vous confie à la sollicitude maternelle de Notre Dame de l’Incarnation. Bonne mission et que Dieu vous accompagne.

 +Jean Pierre KUTWÃ Archevêque d’Abidjan

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