MESSE DE LA PAIX

MESSE DE LA PAIX

Mercredi 30 Décembre 2009


« Si tu veux construire la paix, protège la création »

Au début de cette nouvelle année, je désire adresser mes vœux de paix les plus fervents à toutes les communautés chrétiennes, aux responsables des nations, aux hommes et aux femmes de bonne volonté du monde entier. J’ai choisi comme thème pour cette 43ème journée mondiale de la Paix : Si tu veux construire la Paix, protège la création. Le respect de la création revêt une grande importance, car, « la création est le début et le fondement de toutes les œuvres de Dieu » et, aujourd’hui sa sauvegarde devient essentielle pour la coexistence de l’humanité. Si, en effet, à cause de la cruauté de l’homme envers l’homme, nombreuses sont les menaces qui mettent en péril la paix et le développement intégral authentique de l’homme – guerres, conflits internationaux et régionaux, actes terroristes et violations des droits de l’homme – les menaces engendrées par le manque d’attention – voire même par les abus – vis-à-vis de la terre et des biens naturels, qui sont un don de Dieu, ne sont pas moins préoccupantes. C’est pour cette raison qu’il est indispensable que l’humanité renouvelle et renforce « l’alliance entre l’être humain et l’environnement qui doit être le miroir de l’amour créateur de Dieu de qui nous venons et vers qui nous allons ».


Chers frères et sœurs,C’est en ces termes que sa Sainteté Benoît XVI commence son message pour la célébration de la journée mondiale de la Paix, pour cette année 2010, message dont je me fais le devoir, ce soir, de vous livrer de larges extraits.

Le Saint Père y dénonce, la crise écologique mondiale actuelle comme étant d’abord une crise éthique, il y voit une opportunité historique et propose, comme remède, une écologie humaine. La pertinence de sa vision nous conduira à faire un état des lieux chez nous en Côte d’Ivoire.


I/ La Crise écologique est d’abord éthique

Pour le Pape, le « développement intégral est étroitement lié aux devoirs qui découlent du rapport de l’homme avec l’environnement naturel, considéré comme un don de Dieu fait à tous. » Nous avons des responsabilités vis-à-vis des générations à venir. Mais Dieu est toujours présent et « contempler la beauté de la création nous aide à reconnaître l’amour du créateur ». Certes, l’Eglise n’a pas à entrer dans les solutions techniques spécifiques, « mais, elle doit parler comme « experte en humanité » et elle doit rappeler « la relation entre le créateur, l’être humain et la création ». Et de même que la crise économique est d’abord d’ordre éthique, la crise écologique est d’abord éthique. Il serait irresponsable de ne pas prendre en compte cette dimension.

Le Pape Benoît XVI rappelle qu’à l’origine de la nature, au sens large, il y a « un dessein d’amour et de vérité». Et il fait comprendre le dessein d’amour de Dieu que nous devons respecter, en commentant le début du livre de la Genèse que nous avons entendu en première lecture. L’homme et la femme étant au sommet du Cosmos, car créés à l’image de Dieu pour remplir la terre et la soumettre comme des intendants, le « mode d’emploi » est donc donné dès l’origine ; l’homme peut et doit se servir de la terre, mais avec sagesse et en pensant aux autres, présents et à venir.

C’est cela que notre monde a oublié. La vraie signification du commandement premier de Dieu « ne consistait pas en une simple attribution d’autorité, mais plutôt en un appel à la responsabilité ». La Nature est un don du créateur qui en a indiqué les lois intrinsèques « alors que l’homme finit par la tyranniser au lieu de la gouverner sagement ».


II/ Une opportunité historique

Nous sommes tous responsables de la protection et du soin de la création. Voilà pourquoi, cette crise écologique, qui touche aussi la question des ressources naturelles doit être vue comme « une opportunité historique » pour élaborer une vraie réponse au développement humain intégral, qui s’inspire des valeurs propres de la charité dans la vérité.

Le Pape fait d’ailleurs preuve d’un optimisme certain face à la capacité de l’homme à s’adapter et à résoudre les problèmes car, « nombreux sont aujourd’hui les possibilités scientifiques et les chemins d’innovations potentiels. Mais, il faut pour cela que chacun s’engage, à tous les niveaux, avec une « authentique solidarité à l’échelle mondiale, inspirée par les valeurs de la charité, de la justice et du bien commun ».

Au-delà des politiques nécessaires et des engagements des Etats, « il apparaît toujours plus clairement que le thème de la dégradation environnementale met en cause les comportements de chacun de nous, les styles de vie et les modèles de consommations et de production ». Nous sommes tous interpellés, même dans notre vie quotidienne. Ce sont les mentalités qu’il faut changer. C’est ici que se pose le problème de l’éducation et du rôle de la Société Civile.


III/ Une écologie humaine

En nous proposant la notion d’« écologie humaine», le Saint Père nous démontre que sans elle, il n’y a pas de respect de l’écologie tout court. « On ne peut exiger des jeunes de respecter l’environnement dit-il, si on ne les aide pas, en famille et dans la société à se respecter eux-mêmes. Les devoirs vis-à-vis de l’environnement « découlent des devoirs vis-à-vis de la personne considérée en elle-même. »

L’écologie, l’inviolabilité de la vie humaine, la dignité de la personne, la famille, tout cela forme un tout, repose sur la loi morale naturelle et on ne peut en accepter un aspect et en rejeter les autres. On ne peut défendre l’écologie et mépriser la vie humaine. « Une conception correcte de la relation de l’homme avec l’environnement ne conduit pas à absolutiser la nature, ni à la considérer comme plus importante que la personne humaine. » dit le Pape.

L’écologie radicale est un leurre parce qu’elle considère l’homme en général et l’enfant à naître en particulier comme le gêneur de la création, alors qu’il en est le sommet et qu’il est même la « seule créature que Dieu a voulu pour elle-même », selon l’expression de Gaudium et Spes : Si l’homme doit respecter la nature, on ne peut pour autant mettre sur le même plan l’homme, image de Dieu et le reste de la création.

Certains voudraient faire croire que c’est l’homme qui est de trop sur la terre. Le Pape Benoît XVI remet les choses à l’endroit : Il faut respecter la création, mais pour le bien de l’homme et non pas en cherchant à l’éliminer ou à le réduire. Cela nous donne des droits, mais aussi des devoirs : celui de faire un usage responsable de notre liberté, en considérant la nature comme un don, et un don, qui mérite respect. « Si tu veux construire la Paix, protège la création » c’est-à-dire, commence donc par protéger et respecter l’homme lui-même, sommet de la création et par défendre la vie humaine. Tel est en substance le message de Sa Sainteté, Benoît XVI.

Quelles implications pour nous qui vivons en Côte d’Ivoire ?

IV/ l’Etat des lieux en Côte d’Ivoire

En Côte d’Ivoire, le problème de l’environnement est crucial malgré les efforts colossaux faits par les uns et les autres, et par l’Etat en particulier que nous tenons à féliciter ici. Mais, beaucoup reste encore à faire dans ce domaine.

Oui, chez nous, cette crise écologique, avant d’être mondiale, est nationale et régionale. Chacun, selon sa zone d’habitation en fait l’amer constat : l’avancée du désert depuis le nord et la région des savanes accompagnée de chaleurs caniculaires ; La diminution vertigineuse de nos massifs forestiers due à l’occupation abusive et anarchique des forêts classées ; la perturbation de nos saisons avec un impact négatif sur les activités agricoles ; la montée du niveau de la mer ; la pollution très avancée de nos plans d’eaux lagunaires, l’air fétide et nauséabond de notre corniche à Abidjan et de nos rues où jonchent les déchets les plus inimaginables de nos usines, de nos hôpitaux et de nos ménages font perdre à notre capitale économique son qualificatif de perle des lagunes.


Il est triste de constater que la situation s’est aggravée avec la période de ni paix ni guerre que nous connaissons depuis le déclenchement de la crise militaro-politique en 2002.

Que faire devant cette dégradation de notre environnement quotidien ?

Au regard du nombre grandissant de personnes qui quittent nos grandes métropoles les week-ends pour les banlieues, on peut aisément observer que beaucoup parmi nous trouvent la tranquillité et la paix, se sentent renouvelés et fortifiés, lorsqu’ils sont en contact étroit avec la beauté et l’harmonie de la nature, d’une belle plage par exemple, d’un jardin botanique, d’un sous-bois bien ombragé, ou même d’une simple rue propre et bien entretenue. Comme le dit le Saint Père « Il existe donc une sorte de réciprocité : si nous prenons soin de la création, nous constatons que Dieu, par l’intermédiaire de la création, prend soin de nous. Nous sommes donc tous concernés, l’Etat en premier et ensuite les citoyens que nous sommes.


La responsabilité de tous est engagée.

En effet, à l’Etat, il revient d’envisager une politique hardie et courageuse d’un développement qui tienne compte de la sauvegarde de la nature, car il y va du bien-être des populations. Dans le domaine des ressources énergétiques, ne pourrait-on pas, à long terme, explorer et vulgariser d’autres ressources naturelles telles que l’énergie solaire et pourquoi pas éolienne ? Le sacrifice financier à consentir dans ce domaine en vaut bien la peine.

« Pour protéger l’environnement, pour sauvegarder les ressources, il convient, écrit le Pape, d’une part d’agir dans le respect de normes bien définies (et s’en tenir à les appliquer effectivement) et d’autre part, de tenir compte de la solidarité due à ceux qui habitent les régions plus pauvres et aux générations futures ».

Chez nous, nous pouvons dire, avec un brin d’humour, que l’Etat joue gros sa réputation avec l’éternel chantier de la baie de Cocody-indénié, toujours commencé, jamais terminé, sans oublier le sempiternel problème des ordures des dépotoirs d’Akouédo, à Abidjan, et d’ailleurs à l’intérieur du pays.

A chaque habitant de ce pays, il appartient de réapprendre à vivre en adoptant des gestes citoyens qui respectent, à la fois, l’environnement et les autres : Respecter l’autorité de l’Etat et le bien public, avoir le reflexe de la propreté et de l’hygiène domestique, des lieux publics et de la nature. Il faut retrouver en somme la conscience civique. Pourquoi ne pas recourir, à cet effet, aux bonnes vieilles méthodes coloniales des brigades d’hygiènes et de salubrités publiques, urbaines et rurales ? Ce n’est qu’une voie parmi tant d’autres pour une éducation efficace des populations qu’il faut aider à réapprendre à vivre, en ville et au village en tenant compte des autres et de l’environnement.


Conclusion

Nous pouvons conclure avec le Saint Père en disant avec lui que : « La recherche de la Paix de la part de tous les hommes de bonne volonté sera sans nul doute facilitée par la reconnaissance commune du rapport indissoluble qui existe entre Dieu, les êtres humains et la création toute entière. Les chrétiens illuminés par la Révélation Divine et suivant la Tradition de l’Eglise, apportent leur contribution propre.

Nous avons donc le devoir de protéger l’environnement naturel pour construire un monde pacifique. C’est là un défi urgent à relever par un engagement commun renouvelé. C’est aussi une opportunité providentielle pour offrir aux nouvelles générations la perspective d’un avenir meilleur pour tous.

Que les Responsables des nations et tous ceux qui, à tous les niveaux, prennent à cœur les destinés de l’humanité en soient conscients : la sauvegarde de la création et la réalisation de la paix sont des réalités étroitement liées entre elles ! C’est pourquoi, conclut le Pape, « j’invite tous les croyants à élever leurs ferventes prières vers Dieu, Créateur tout-puissant et Père miséricordieux afin qu’au cœur de tout homme et de toute femme résonne, soit accueilli et reçu cet appel pressant : Si tu veux construire la Paix, protège la création, aujourd’hui, demain et toujours aux siècles des siècles amen.

Je vous souhaite à tous et à toutes Bonne, Heureuse et Sainte Année 2010 ! Que la nouvelle année change le cœur de tous les ivoiriens pour que les esprits violents déposent les armes de toutes sortes et que se multiplient les artisans de paix pour une Côte d’Ivoire pacifiée et renouvelée.



+Jean Pierre KUTWÃ
Archevêque d’Abidjan

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