MESSE DE REQUIEM DE MONSEIGNEUR AMBROSE MADTHA

HOMÉLIE DE MONSEIGNEUR JEAN PIERRE KUTWÃ
ARCHEVÊQUE D’ABIDJAN
A L’OCCASION DE LA MESSE DE REQUIEM
DE MONSEIGNEUR AMBROSE MADTHA
NONCE APOSTOLIQUE EN COTE D’IVOIRE
Cathédrale Saint Paul Plateau
Abidjan le jeudi 13 décembre 2013

‘‘Seigneur si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort...’’Jn.11, 21

Ces paroles, c’est le cri de douleur, le cri de la souffrance, peut-être aussi, le cri de l’incompréhension de Marthe à la vue du Seigneur Jésus, venu leur manifester, à elle, à sa sœur Marie ainsi qu’à leurs amis, sa compassion et son amitié, à la suite de la mort de leur frère et ami Lazare. Mais ce cri, n’est-il pas en fin de compte, le cri qui appelle au secours, le cri de la supplication ardente, face à une situation implacablement fermée et noire ?


Cri de douleur en ce sens que la mort nous impose des ruptures très souvent difficilement supportables. Cri de souffrance parce que la mort nous déchire profondément et nous laisse sans défense. Cri de l’incompréhension enfin, parce que prévenu que Lazare était en train de mourir, Jésus n’a point bougé, là où Marthe, Marie et leurs amis voulaient qu’Il empêche cette mort. Mais, Lazare finalement est mort, enterré et pleuré : il a fini d’exister pour lui-même et pour son environnement. La mort semble alors l’emporter sur l’amitié, sur Dieu Lui-même. Et pourtant…


‘‘Seigneur si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort…’’


Qui eût cru, qu’en ce samedi 8 décembre 2012, en la fête de l’immaculée Conception de la Vierge Marie, au lendemain de la célébration de Saint Ambroise, en ces veilles de fêtes de Noël et de fin d’année, que la route ferait encore une victime et non des moindres ?


Qui eût cru que de retour d’une de ses nombreuses visites à l’intérieur du pays, ce pays qu’il aimait tant, alors qu’il était pratiquement arrivé à destination, que la mort, implacable, viendrait arracher à notre affection, notre Nonce bien-aimé, Monseigneur Ambrose MADTHA ? Comment comprendre et accepter, que le rendez-vous de Duékoué, ville pour qui il avait une affection particulière, n’aura jamais lieu, pour celui qui mettait un point d’honneur à honorer tous les engagements qu’il prenait ?


Pourquoi, tout simplement, pourquoi maintenant, alors que nous comptions énormément sur lui, sur son savoir être, son savoir faire, sur sa joie de vivre communicative, pour nous aider dans nos efforts de réconciliation ? Pourquoi Dieu peut-il permettre que pareille chose nous arrive après les nombreuses souffrances que nous avons connues ? Pourquoi cette nouvelle croix, déconcertante, imprévue et intruse ?


‘‘Seigneur si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort…’’

Ce cri de douleur, de souffrance et d’incompréhension pourrait être le nôtre en ces moments où la Côte d’Ivoire entière pleure celui en qui elle a vu avant tout, un ami, un frère, un père, un pasteur, Monseigneur Ambrose MADTHA. En ces moments, je voudrais avec vous m’interroger : la vie a-t-elle encore un sens si c’est pour nous retrouver à pleurer et à regretter ceux que nous avons connu et aimé à un moment donné de notre existence ?


C’est pourquoi, je désir fortement que ce moment du dernier adieu qui nous est imposé, tous, nous le vivions, non pas dans le stérile désir de faire mémoire pour faire mémoire de celui pour qui nous nous sommes déplacés, mais bien pour redire avec force, que la mort, avec les ruptures qu’elle provoque, n’aura jamais le dernier mot, bien plus, qu’elle ne sera jamais le dernier mot de notre existence. La mort donc ne peut être la raison de notre présence ici. A mon sens, c’est l’amour et la fraternité qui nous lient, qui sont la raison de notre rassemblement. Oui chers frères et sœurs, c’est l’amour, la proximité et la fraternité que nous avons vécus avec le Nonce, c’est le témoignage de sa vie avec le Christ et avec nous, c’est tout cela qui nous convoque aujourd’hui en cette Cathédrale, ce n’est pas la mort.
‘‘Seigneur si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort. Mais je sais que même maintenant, Dieu te donnera tout ce que tu Lui demanderas.’’

Frères et sœurs,

Dans l’évangile, on ne peut pas rester indifférent devant l’attitude de Jésus. En effet, qui d’entre nous aurait réagit comme Lui, alors que son ami, celui qu’il aime est malade ? Jésus est bien resté deux jours de plus, là où il était, si bien qu’il arrive à Béthanie quatre jours après l’enterrement. Force est de reconnaître ici que le Christ échappe à nos analyses psychologiques et qu’il ne se laisse pas enfermer dans le schéma étroit des comportements humains. C’est ainsi que Jésus, une fois de plus, nous apparaît tout à la fois comme le ‘‘Tout-Autre’’, parce que nous ne Le comprendrons jamais totalement, mais aussi comme le ‘‘Tout-semblable’’, le ‘‘Tout-proche’’, celui qui pleure un de ses amis.


Les lamentations de Marie et des Juifs prouvent leur attachement humain à Lazare, tout comme les nôtres aujourd’hui. Mais au-delà de son amitié pour Lazare, le trouble intense et les larmes de Jésus, montrent à quel point Il s’engage personnellement contre tout ce qui empêche l’humanité de vivre dès maintenant sa propre résurrection. La réalité de la souffrance et de la mort n’est pas niée par Jésus, Lui qui annonce en même temps le triomphe sur la mort.


A Béthanie, la mort semble avoir triomphé, car il n’y a plus de présent : ‘‘Seigneur si tu avais été là…’’ disait Marthe. Et pourtant, c’est justement là aussi, dans cet aujourd’hui désolé et triste, que le Christ va faire naître la vie. Il est celui qui crie à Lazare : ‘‘viens dehors’’, celui qui crie ces mêmes paroles à chacun de nous, troublés, perturbés et désemparés que nous sommes ; Il est celui qui nous délie et nous délivre de nos vêtements de mort, de nos bandelettes de peur et de déception.


Très souvent, nous prions le Christ de préserver de la mort nos enfants, nos parents, nos amis, nous-mêmes, alors que nous connaissons le chemin qui mène à la Vraie Vie : c’est celui qui passe par la mort. Derrière le récit de l’évangile, pour ceux qui savent que le Christ est mort et ressuscité, se dessine l’histoire symbolique du passage de la mort à la vie, passage obligé pour tout croyant. Et s’il nous arrive de ne pas comprendre la mort de Monseigneur Ambrose MADTHA, c’est à sa devise d’ordination épiscopale de même que le symbole qu’il s’est choisi, le pélican, que je voudrais que nous tournions nos regards.


‘‘Ut vitam abudantius habeant’’, qui se traduit, ‘‘pour qu’ils aient la vie en abondance’’, telle était sa devise. Le zèle avec lequel il a travaillé et qui le poussait toujours sur les routes de notre pays, s’enracinait certainement dans cette devise et dans son désir toujours plus grand de faire en sorte que le Christ soit non seulement plus proche de nos concitoyens, mais que par son humble ministère de pasteur, que le même Christ soit mieux connu, mieux aimé, et toujours premier servi.


Je reste convaincu que son désir le plus grand, était que la crise que nous avons connue et qu’il a vécue avec nous, fasse place à des lendemains meilleurs, où la vie serait abondante pour nous tous, habitants de ce pays. Il nous laisse ainsi un message fort : c’est à nous tous qui l’avons connu et aimé, de mettre désormais toute notre énergie, à faire en sorte que le combat de cet homme que nous pleurons aujourd’hui, n’ait pas été vain.


Le pélican quant à lui, est cet oiseau aquatique qui nourrit ses petits de sa chair et de son sang. C’est là tout le symbole de l’amour paternel. Par cette façon d’être et de faire, le pélican peut être considéré comme figure du sacrifice du Christ dont la chair et le sang sont offerts pour la vie du monde. C’est également, son sang versé sur notre terre de Côte d’Ivoire, son corps sans vie, que Monseigneur Ambrose MADTHA, voudrait offrir en sacrifice à notre pays, pour que Dieu nous offre la paix véritable qui vient de Lui.


En effet, sa mort nous interpelle tant elle a été brusque et inattendue, laissant en friche, le vaste chantier de la réconciliation nationale dont il était un acteur important. Aussi, en sa mémoire, je voudrais nous engager tous ici présents, habitants de ce pays pour lequel il a donné sa vie, solennellement, à offrir à nos populations, le cadeau d’une Côte d’Ivoire de Paix et enfin réconciliée avec elle-même.


A cet instant, me vient à l’esprit les propos du prophète Isaïe : ‘‘Alors le loup séjournera avec l’agneau, la panthère aura son gîte avec le chevreau. Le veau et le lionceau se nourriront ensemble, et un petit garçon les conduira. La vache et l’ourse se lieront d’amitié, leurs petits seront couchés côte à côte. Le lion comme le bœuf mangera du fourrage. Le nourrisson jouera sur le nid du serpent, et le petit garçon pourra mettre la main dans la cachette de la vipère.’’ Is.11, 6-8
S’il est vrai qu’on ne peut pas objectivement croire que le loup séjourne avec l’agneau, que la panthère ait son gîte avec le chevreau, que le veau et le lionceau se nourrissent ensemble, et qu’un petit garçon les conduise, que la vache et l’ourse se lient d’amitié, et leurs petits couchés côte à côte, que le lion comme le bœuf mange du fourrage et que le nourrisson joue sur le nid du serpent, tandis que le petit garçon peut mettre la main dans la cachette de la vipère, il est tout aussi vrai qu’il nous faut croire que cette vision n’a rien de surréaliste car elle est vision de Dieu, Lui, le Maître du temps et de l’histoire, Lui qui peut tout, Lui dont la parole fait surgir du néant ce qui n’est pas et advenir toute chose.


Ayons confiance en Dieu et décidons, en mémoire de celui que nous pleurons, de nous mettre ensemble, d’accepter nos différences, de regarder plutôt ce qui peut nous unir et d’ignorer in fine, ce qui pourrait mettre à mal notre cohésion. En effet, combien cela serait gratifiant et reposant pour nos communautés, nos familles, notre pays, que tous nous vivions en parfaite intelligence, en nous enrichissant mutuellement de nos différences.


‘‘Seigneur si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort. Mais je sais que même maintenant, Dieu te donnera tout ce que Tu Lui demanderas.’’ Telles étaient les propos de Marthe. Et le Christ est venu, et Il a redonné vie à Lazare. Nous aussi, nous croyons fermement que le Christ est là, et qu’Il redonne vie maintenant à son serviteur, comme pour nous dire que jamais la mort ne peut avoir le dernier mot. Christ est vivant, de même que tous ceux qui croient en Lui : telle est notre foi !
‘‘Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi vivra, même s’il meurt ; et celui qui vit et croit en moi, ne mourra jamais, crois-tu cela ?’’ Oui Seigneur, je le crois avait répondu Marthe. Oui Seigneur, nous le croyons pour ton fils notre frère Ambrose MADTHA, nous croyons qu’il ressuscitera! Qu’il repose auprès de toi, là où il n’y a ni pleurs, ni douleurs, ni souffrance, aujourd’hui, demain et dans les siècles sans fin. AMEN !



+ Jean Pierre KUTWÃ
Archevêque d’Abidjan

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