MESSAGE DU CARDINAL JEAN PIERRE KUTWÃ ARCHEVEQUE D’ABIDJAN A L’OCCASION DE LA MESSE CHRISMALE 2017
Cathédrale Saint Paul du Plateau Abidjan
Mardi 11 avril 2017
‘‘L’Esprit du Seigneur Dieu est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé annoncer la bonne nouvelle aux humbles, guérir ceux qui ont le cœur brisé, proclamer aux captifs leur délivrance, aux prisonniers leur libération, proclamer une année de bienfaits accordée par le Seigneur, et un jour de vengeance pour notre Dieu, consoler tous ceux qui sont en deuil, ceux qui sont en deuil dans Sion, mettre le diadème sur leur tête au lieu de la cendre, l’huile de joie au lieu du deuil, un habit de fête au lieu d’un esprit abattu.’’
Chers frères et sœurs,
Cet extrait du livre du prophète Isaïe que nous avons entendu en première lecture cadre bien à mon avis, avec le sens profond de la célébration de ce jour qui sera marquée par deux actions importantes : la rénovation des promesses sacerdotales de vos prêtres ainsi que la bénédiction des huiles.
En effet, l’Esprit du Seigneur Dieu qui est sur son serviteur et qui le consacre par l’onction, confère à ce dernier une mission particulière concernant le salut des hommes. Il en sera de même tout au long de la célébration de ce jour : par la rénovation des promesses sacerdotales, vos prêtres se rappellent d’une part qu’ils ont été appelés, mis à part et consacrés le jour de leur ordination sacerdotale avec tout ce que cela implique ; d’autre part, ils prennent davantage conscience que cette consécration les rend intendants des mystères du Christ à travers les sacrements qu’ils doivent célébrer avec foi et dignité, sacrements dont la bénédiction des huiles est le symbole.
Excellence Monseigneur Joseph SPITERIE,
Excellence Monseigneur Pierre Marie COTY,
Excellence Monseigneur Bruno KOUAME,
Chers confrères dans le sacerdoce,
Révérends frères, révérendes sœurs,
Chers frères et sœurs,
Dans cette première lecture, si celui qui parle ne se désigne pas lui-même, on note cependant qu’il est revêtu de l’Esprit de Dieu et que son message et son action visent tout particulièrement les personnes éprouvées. Ainsi, en accomplissant sa mission, les pauvres, les infirmes, les prisonniers et les désespérés découvriront à quel point Dieu les aime et veut leur bonheur ! Puisqu’il est revêtu de l’Esprit de Dieu, cet envoyé peut être un roi, le prophète lui-même, le Messie ou même un prêtre.
Chers confrères dans le sacerdoce,
Je voudrais en m’adressant à vous m’appuyer sur la prière d’ouverture de ce jour qui nous redit encore une fois la mission qui est nôtre. La voici cette prière : ‘‘Dieu tout-puissant, toi qui as consacré ton Fils unique par l’Esprit Saint et qui l’as établi Christ et Seigneur, nous te prions : puisque tu nous as consacrés en Lui, fais que nous soyons pour le monde les témoins d’un évangile de salut’’. Consacrés en Jésus-Christ, notre mission consiste à être pour le monde, les témoins d’un évangile de salut ! Il s’agit en fait comme disait le Pape François aux Missionnaires de la miséricorde, d’être ‘‘les témoins de la proximité de Dieu et de sa façon d’aimer ; pas notre façon, toujours limitée et parfois contradictoire, mais sa façon d’aimer, sa façon de pardonner, qui est justement la miséricorde.’’ En décidant d’inscrire le thème de notre année pastorale dans la droite ligne de ce que nous avons vécu pendant l’année de la miséricorde, mon désir est que nous puissions présenter à nos fidèles et partant à nos compatriotes, le visage miséricordieux du Christ, principe et fin de notre salut.
Il me plaît ici encore de rappeler les paroles du Pape François aux missionnaires de la miséricorde, paroles qui s’appliquent aussi à nous, prêtres : ‘‘Je désire avant tout vous rappeler que dans ce ministère, vous êtes appelés à exprimer la maternité de l’Église. L’Église est Mère car elle engendre toujours de nouveaux enfants dans la foi; l’Église est Mère parce qu’elle alimente la foi; et l’Église est Mère également parce qu’elle offre le pardon de Dieu, régénérant pour une vie nouvelle, fruit de la conversion. Nous ne pouvons courir le risque qu’un pénitent ne perçoive pas la présence maternelle de l’Église qui l’accueille et l’aime. Si cette perception manquait, à cause de notre rigidité, ce serait un grave dommage en premier lieu pour la foi elle-même, car cela empêcherait le pénitent de se sentir membre d’une communauté.’’
Et le Pape François de poursuivre : ‘‘Nous sommes au contraire appelés à être l’expression vivante de l’Église qui, en tant que mère, accueille quiconque s’approche d’elle, sachant qu’à travers elle, nous sommes insérés dans le Christ. En entrant dans le confessionnal, rappelons-nous toujours que c’est le Christ qui accueille, c’est le Christ qui écoute, c’est le Christ qui pardonne, c’est le Christ qui donne la paix. Nous sommes ses ministres; et nous sommes les premiers à avoir besoin qu’il nous pardonne. Par conséquent, quel que soit le péché qui est confessé — ou que la personne n’ose pas dire, mais le fait comprendre, ce qui est suffisant — tout missionnaire est appelé à se souvenir de sa propre existence de pécheur et à se placer humblement comme « canal » de la miséricorde de Dieu.’’
Chers confrères dans le sacerdoce,
Je sais qu’il est trop tôt pour faire le bilan de l’action pastorale que vous menez avec abnégation dans vos paroisses mais, il m’a paru important de vous rappeler ce que vous savez déjà car, je crois que le chemin qui nous reste à parcourir pour atteindre nos objectifs est encore assez long. La célébration de ce jour nous y invite avec force et la prière post-communion de ce jour ne dit pas autre chose. La voici : ‘‘nous t’en supplions, Seigneur, toi qui refais nos forces par tes sacrements, donne-nous d’être, au milieu des hommes, un signe qui les attire vers le Christ.’’ Telle est notre mission mais telle est aussi l’attente de nos fidèles et de nos compatriotes pauvres, infirmes, prisonniers et désespérés.
Cette mission, vous conviendrez avec moi, que pour être menée à bien, nécessite que nous soyons à la hauteur des attentes de nos frères et sœurs. Qu’il me soit permis ici de rappeler encore une fois, ce que nous dit la prière sur les offrandes de ce jour. Je cite : ‘‘Que la puissance de ce sacrifice, nous t’en prions, Seigneur, nous débarrasse de tout vieillissement : qu’elle renouvelle en nous la vie et nous apporte le salut.’’ Fin de citation. Le vieillissement dont il est question ici est multiple et multiforme. Pour l’occasion, je voudrais m’arrêter un instant sur la bénédiction des huiles. S’il est vrai que cette bénédiction est le rite le plus spectaculaire de cette messe, avec le transport en procession de lourdes jarres qui les contiennent, il ne faut cependant pas oublier que ce qui fait le sacrement, ce n’est pas le contact magique avec une substance bénie, mais la prière dite par le ministre qui accompagne l’onction d’huile !
A propos de vieillissement, avez-vous remarqué chers confrères, quel soin nous accordons à ces huiles bénies dans nos paroisses ? Il n’est pas rare que les prêtres eux-mêmes ignorent tout de leur emplacement, se référant toujours au sacristain qui n’ayant pas la même formation que lui, les garde où il veut et les entretient comme il veut ! Volontairement, je passe sous silence les récipients que nous utilisons pour les recueillir, oubliant que ces huiles sont destinées aux sacrements et donc porteuses de vie ! Que dire aussi, des huiles que nous prêtres, nous nous autorisons à bénir à tour de bras dans nos paroisses, alors que nous avons la possibilité de conférer le sacrement qui va avec à nos fidèles qui nous le demande. N’est-ce pas que nous participons ainsi à une certaine désacralisation d’un rite pourtant bien organisé dans l’église ? Aujourd’hui, des bénédictions et onctions d’huile se font partout au point où l’on peut se demander légitimement si nous en avons saisi son importance.
Non, chers confrères dans le sacerdoce, l’Esprit du Seigneur qui repose sur vous ne vous autorise pas à pareilles légèretés qui ont fini par semer le doute dans l’esprit de bien de vos fidèles. Je vous invite solennellement à mettre fin à toutes ces pratiques qui traduisent à tout le moins un manquement grave à la doctrine de votre église, si elles ne disent pas un certain vieillissement dont il faut vous défaire au plus vite ! Comme je vous le disais l’an dernier, ‘‘beaucoup de choses doivent être réorientées.’’ J’avais même émis le souhait que dans vos doyennés, entre vous prêtres, vous puissiez vous retrouver pour voir ensemble comment réorienter votre vie sacerdotale et que les plus anciens partagent leurs expériences avec les plus jeunes et que ces derniers trouvent la force de dire sans crainte et en toute confiance, leurs espérances à leurs aînés afin que notre marche commune ne pèse à personne. Où en êtes-vous de ce projet ? Est-il encore d’actualité ?
Chers frères et sœurs,
Je ne cesserai jamais de rendre grâce à Dieu à votre sujet. Encore une fois, vous êtes venus nombreux soutenir vos prêtres et leur traduire votre estime et votre affection. A votre endroit, je voudrais reprendre les paroles de la deuxième lecture de ce jour : ‘‘que la grâce et la paix vous soient données de la part de Jésus Christ, le témoin fidèle, le premier né d’entre les morts, le souverain des rois de la terre.’’
Cette bénédiction, je l’étends bien volontiers à tous les fidèles de notre Archidiocèse qui ont répondu au-delà des mes attentes à l’appel que je leur ai adressé en faveur de la Paroisse Saint Marc des Toits Rouges du Diocèse de Yopougon. J’espère de tout cœur qu’avec cette aide, très prochainement, ils pourront retrouver un lieu pour le culte, un autel pour le sacrifice après le drame qu’ils ont vécu.
Cependant, le vieillissement dont je parlais tantôt vous concerne également. Avec la multiplication des Nouveaux Mouvements religieux, le regain de spiritualité que nous constatons chez vous nous interroge en ce sens que de plus en plus , vous nous donnez l’impression de n'être uniquement intéressés que par la prospérité matérielle.
A ce sujet, je voudrais reprendre quelques extraits du message de notre Saint Père à l’occasion du Carême 2017 et je cite : ‘‘la racine de tous les maux c’est l’amour de l’argent» (1 Tm 6,10). Il est la cause principale de la corruption et la source de jalousies, litiges et soupçons. L’argent peut réussir à nous dominer et devenir ainsi une idole tyrannique (cf. Exhort. ap. Evangelii Gaudium, n. 55). Au lieu d’être un instrument à notre service pour réaliser le bien et exercer la solidarité envers les autres, l’argent peut nous rendre esclaves, ainsi que le monde entier, d’une logique égoïste qui ne laisse aucune place à l’amour et fait obstacle à la paix.’’
Et le Pape de poursuivre : ‘‘le niveau le plus bas de cette déchéance morale est l’orgueil…Pour l’homme corrompu par l’amour des richesses, il n’existe que le propre moi et c’est la raison pour laquelle les personnes qui l’entourent ne sont pas l’objet de son regard. Le fruit de l’attachement à l’argent est donc une sorte de cécité : le riche ne voit pas le pauvre qui est affamé, couvert de plaies et prostré dans son humiliation.’’
Vous aussi, par votre baptême, l’Esprit du Seigneur repose sur vous pour vous aider à discerner ce qui va dans le sens de votre salut. Rappelez-vous les paroles du Seigneur : ‘‘Nul ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’Argent’’ (Mt 6,24). Je vous invite donc à rechercher par-dessus tout votre salut et à ne pas entrainer vos prêtres dans des prières d’un autre âge ! Dieu veut le salut de votre âme !
Excellences,
Chers confrères dans le sacerdoce,
Révérends frères, révérendes sœurs,
Chers frères et sœurs,
Je termine en reprenant à mon compte les paroles du Pape François dans son homélie du 8 janvier 2016 : ‘‘le Carême est un nouveau commencement, un chemin qui conduit à une destination sûre : la Pâques de la Résurrection, la victoire du Christ sur la mort. Et ce temps nous adresse toujours un appel pressant à la conversion : le chrétien est appelé à revenir à Dieu «de tout son cœur» (Jl 2,12) pour ne pas se contenter d’une vie médiocre, mais grandir dans l’amitié avec le Seigneur. Jésus est l’ami fidèle qui ne nous abandonne jamais, car même lorsque nous péchons, il attend patiemment notre retour à Lui et, par cette attente, il manifeste sa volonté de pardon.’’
Ce pardon, qu’il l’accorde à tous nos frères et sœurs qui nous ont quittés en cette année 2017. Je pense aux parents défunts de nombre de confrères et des religieuses. Je voudrais avoir aussi une pensée pieuse pour les sœurs Georges Marie ETTE et Jean Jérôme KOUASSI de la Congrégation des sœurs Notre Dame de la Paix, de la sœur Marisa de la Congrégation des sœurs Notre Dame des Apôtres et du Révérend Père GOA Ibo Jean Maurice. Que par la miséricorde de Dieu, ils reposent tous en paix et ressuscite avec le Christ à Pâques !
A tous, je souhaite une bonne montée vers Pâques !
+ Jean Pierre Cardinal KUTWÃ Archevêque d’Abidjan