APPEL A LA NATION

Nous, Ivoiriens et Ivoiriennes, avions véritablement cru que l’élection présidentielle nous sortirait de la situation de ni paix, ni guerre, que nous vivions depuis une décennie. Cet espoir a été de courte durée. Le rêve que nous caressions d’une Côte d’Ivoire pacifiée et plus prospère que jamais, s’est brisé, nous laissant sur le palais et dans le cœur, un goût amer.

Des difficultés de tous genres ont vu le jour, la situation socio-politique n’a cessé de se dégrader dangereusement. Des quartiers entiers et des villages se sont vidés de leurs populations. Ici et là, des familles entières ont repris le chemin de l’exode, abandonnant leurs maisons, dans la plus grande précarité, ou trouvant par bonheur, refuge dans certains lieux de culte ou dans des sites de fortune aménagés à la hâte, à cet effet, aux prises avec l’angoisse et le désarroi. On ne compte plus les cas de destruction de biens matériels quand ils ne font pas l’objet de pillages systématiques ou de convoitises sordides ignobles.

Ce qui est en jeu derrière ce spectacle désolant ou outrageusement affligeant, c’est la vie, la vie humaine bafouée, banalisée, dépréciée détruite sans vergogne et sans discernement. Oui, on tue, on tue et on tue par balles, à l’arme blanche, par le feu et que sais-je encore ! C’est le lieu de vous inviter à deux efforts d’une grande nécessité :

A) Le respect de la vie

B) Notre devoir de protéger la vie.

A) Le respect de la vie :

Point n’est besoin d’argumenter longuement pour comprendre que la vie est sacré, et à ce titre, nous nous devons de tout faire, pour éloigner d’elle le spectre de la mort. Respecter la vie, c’est en définitive, respecter Dieu lui-même. Jésus-Christ, Fils de Dieu et Dieu lui-même s’identifiera à la vie : « Je suis le chemin, la vérité, la vie » (Jn 14, 6).

Dieu dans son amour pour nous, nous fait don de la vie et n’a de cesse de nous appeler à la vie. En retour et avec un esprit filial, nous nous devons de lui en être reconnaissant. Lui être reconnaissant, c’est d’abord aimer cette vie. C’est aussi soigner et rechercher constamment les moyens de protéger cette vie en nous et chez les autres.

En ces heures sombres et difficiles que nous traversons, gardons à l’esprit et dans le cœur ce caractère sacré de la vie et ne ménageons pas nos efforts pour la protéger coûte que coûte. 

B) NOTRE DEVOIR DE PROTEGER IMPERATIVEMENT LA VIE

Dieu nous a donné un monde à transformer et des frères à aimer. Le 5ème commandement de Dieu nous dit : « Tu ne tueras pas » (Exode 20,13). L’épisode de l’assassinat d’Abel par son frère Caïn, nous interpelle à plus d’un titre : « Caïn se jeta sur son frère Abel et le tua. Le Seigneur reprit : Qu’as-tu fait ? La voix du sang de ton frère crie de la terre vers moi » (Genèse 4, 8. 10).

Voilà pourquoi je vous lance cet appel pressant :

1- Aux deux Leaders Politiques Protagonistes :

· Pour l’arrêt immédiat des tueries, des agressions et autres formes de violences ;

· Pour donner une instruction urgente à leurs états majors et militants pour l’apaisement des cœurs ;

2- Aux Populations :

· Pour rejeter la violence sous toutes ses formes, éviter de répandre les rumeurs et entretenir les suspicions ;

3- Aux Médias :

· Pour éviter les discours, propos et écrits haineux et l’incitation à la violence ;

4- A toutes les Confessions Religieuses :

· Afin de sensibiliser leurs fidèles à la culture de la paix, de la tolérance et de la non violence et de prier pour la conversion des cœurs des Ivoiriens et de tous ceux qui habitent la Côte d’Ivoire ;

5- A toutes les Forces Militaires et Para-Militaires :

· Pour assurer la sécurité des personnes et des biens et la protection de toute la population dans les différents quartiers, villages et les villes de l’intérieur, afin d’éviter les comités d’auto-défense qui transforment les jeunes en justiciers prompts à des exécutions extrajudiciaires ;

6- A l’Union Européenne :

· Afin qu’au nom du droit à la santé, elle lève l’embargo sur les médicaments.

Je voudrais terminer cet appel en vous invitant à méditer l’âge d’or dans le Livre d’Isaie 11,6-9. Ce que Dieu annonce avec le monde animal de façon métaphorique, est possible pour l’homme, est réalisable, sinon Dieu ne l’aurait pas proposé à l’homme : « Le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau. Le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira. La vache et l’ours auront même pâture, leurs petits, même gîte. Le lion comme le bœuf mangera du fourrage. Le nourrisson s’amusera sur le nid du cobra. Sur le trou de la vipère, le jeune enfant y étendra sa main. Il ne se fera ni mal, ni destruction sur toute ma montagne sainte. »

Que Dieu guérisse nos cœurs et nous élève tous pour une vie fraternelle et heureuse.

Fait à Abidjan, le 21 mars 2011

+ Jean Pierre KUTWÃ

Archevêque d’Abidjan

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